The 'Social' as Metaphor and the Case of Cooperatives

Marie L. Pellegrin-Rescia and Yair Levi
The ‘Social’ as Metaphor
and the Case of Cooperatives

A Critique of Economic Individualism - Ashgate, UK, 2005

Ce livre, qui se réfère à Austin, reprend une articulation lacanienne et réinterprète Polanyi, s’ouvre sur cette question: devons-nous accepter comme une “donnée” la façon dont notre société est constituée ou en sommes-nous responsables?
Dans la 1ère Partie, théorique, Marie L. Pellegrin-Rescia offre une réponse originale. Cessant de prendre le langage pour un moyen (pour informer, exprimer, représenter, communiquer etc.) cet auteur propose de le considérer comme un acte: «Dire, c’est faire», –Austin–, c’est “performer”, mettre en forme le monde –Benveniste–. Il est ainsi possible de soutenir que nos catégories énonciatives –nos propres critères– performent la société, oeuvrant à sa mise forme.

En particulier, il est permis de penser que le social et l’économique, loin d’être des réalités évidentes et dichotomiques, relèvent bien plutôt de notre façon particulière de les énoncer, mettre en forme.
L’économique: c’est ainsi que Polanyi appelle l’économie dès lors que, dans notre modernité, elle a été séparée (dis-embedded, désencastrée) des autres instances, politique, juridique, religieuse etc. Considéré comme étant prioritaire sur celles-ci, autonome et indépendant, l’économique produit des dégâts et le social a pour tâche de les réparer, en comblant les dysfonctionnements.

Le social est ainsi la métaphore de ce qui ne va pas dans l’économique.
Aujourd’hui, dans une société où les “dispositifs sociaux” sont en perte de vitesse et où l’on se bat (en vain?) pour les maintenir à tout prix, où les “projets alternatifs” continuent d’être toujours seconds par rapport à une économie qui reste dominante, revisiter notre pensée se révèle plus que jamais indispensable. Il sera dès lors possible de ramener l’emploi du signifiant social à son étymologie (du lat. socius), en rapport donc avec le lien social et non pas avec son défaut.
Il est donc nécessaire de rechercher et travailler nos catégories énonciatives et sortir des dichotomies qui ont été longtemps à la base même de notre pensée, notamment sociologique.

L’importance de cette position apparaît dès qu’il s’agit de ses applications, dans notre cas les coopératives en ce qu’elles sont constituées de deux composantes, sociale l’une (l’association) et économique l’autre (l’entreprise). Pour autant que celles-ci sont définies comme des entités distinctes, des “réalités” opposées ou même comme deux “natures”, il s’agit, soutient Yair Levi (2ème Partie), de les “intégrer”: à savoir développer le côté “social” et réduire la part de “l’économique”.
Ne vaudrait-il pas mieux cependant, au lieu de s’évertuer à faire davantage de social et moins d’économique de rechercher d’abord les catégories énonciatives des coopératives, en même temps association et entreprise?

Les coopératives en effet, appelées ici à jouer le rôle de “révélateur” de notre société actuelle, mettent en évidence un paradoxe.
Nées avec l’industrialisme et pour le contrer, mises donc en forme avec les critères de l’époque, elles relèvent de l’imaginaire de complétude de l’individu économique, (cf l’entreprise), alors que leurs objectifs sont d’ordre clairement symbolique (cf l’association). Or, ce même paradoxe se retrouve dans la société globale, où l’on aspire à faire du “social” tout en employant, cependant, les catégories énonciatives de la figure dominante de notre modernité, l’individu in-divisé, (son étymologie) et intéressé (à maintenir son être propre, sa vie et à accroître ses biens).
Comment donc faire société avec l’imaginaire de complétude propre de cet individu? Comment réaliser, avec lui, une société où le mode de fonctionnement serait la coopération et non forcement la compétition, où la réciprocité serait non seulement symétrique, non uniquement marchande et n’aurait plus à mobiliser le social contre l’économique?

Pour en sortir (c’est à dire pour sortir d’un problème si mal posé), Marie L. Pellegrin-Rescia soutient qu’une autre approche est possible, à travers la recherche d’autres catégories énonciatives qui, différentes, articulent l’imaginaire de la complétude propre de l’individu moderne, au registre du symbolique apte à prendre en compte aussi l'incomplétude d’un sujet fini, mortel. Attention: il s’agit ici du symbolique, registre de ce que relève de la séparation, du manque et e la perte, inséparables de la condition humaine vs le registre imaginaire de la complétude, et non de l’adjectif ni du substantif féminin (la symbolique). Cette distinction est importante.

Le sujet qui se dessine sur le plan du symbolique, n’est donc plus l’individu, homo oeconomicus pour qui l’autre est un autre, voir un objet, ni non plus l’homo sociologicus qui, se pensant comme un acteur propriétaire de ses droits, se trouve malgré lui en conflit avec les autres, pris dans des rapports de force avec eux.
Sur le plan du symbolique, s’énonce un sujet déjà trans-moderne, qui porte en lui-même une division (symbolique): il se trouve en inter-dépendance avec les autres, en dette et en réciprocité (non marchande, hors rapports de domination), avec eux. C’est un sujet que l’on pourrait appeler reciprocus, à même non seulement de résoudre le problème majeur des coopératives, mais aussi, surtout, de répondre aux aspirations de la société actuelle. Le social et l’économique n’étant plus énoncés comme deux réalités dichotomiques, il n’y aurait en effet plus à “faire du social” pour contrer un économique qui lui serait opposé.
Se situant sur le plan du symbolique, ce sujet n’aurait donc pas à “aller à la rencontre” des autres ni à prendre le parti de l’autre, obéissant à une injonction morale – les coopératives en ont démontré la quasi impossibilité, elles dont le “social”, à savoir l’association, font pourtant partie des statuts. L’autre (celui qui est divers de lui, le différent) est en effet déjà en nous. «Je est un autre», avait dit Rimbaud.
Il s’agit là d’une véritable révolution de la pensée.

Aujourd’hui, dans notre société, les oppositions bipolaires sont interrogées par une pensée plus complexe, nécessairement multipolaire. La question dite sociale, les mouvements appelés sociaux, fondamentaux dans la pensée sociologique du XIX et XXs, perdent de pertinence et sont questionnés par d’autres mouvements, des minorités, des communautés, des femmes etc. ; l’exigence de redistribution économico-sociale est interrogée par d’autres exigences, telle la quête de reconnaissance, d’ordre symbolique; la notion d’identité, individuelle et stable, change, et relève d’un processus mouvant. Aujourd’hui, les aspirations d’ordre symbolique surgissent de toutes part, qui ne sont plus uniquement en relation avec le social (cf. la partie associative des coopératives).

Ainsi, revisiter la pensée de l’imaginaire social fondée sur l’individu, sur ses droits, et réévaluer le registre du symbolique, y fonder le lien, se révèle dès lors plus que jamais indispensable.
Dans la 3ème Partie du livre sont esquissés des exemples de réalisation notamment en Italie et en Afrique du Sud.

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